Le Monde 19/01/2013 "Je n’ai pas à m’excuser", estime Laurent Berger (CFDT)

, par Udfo15

Le nouveau patron de la CFDT, Laurent Berger, assume. Sa signature de l’accord sur l’emploi, négocié vendredi 11 janvier avec le Medef et avalisé jeudi 17 à l’unanimité par son bureau national, est dictée par le seul intérêt des salariés, assure-t-il, alors que les critiques de la gauche de la gauche, de la CGT et de FO se multiplient.

"La CFDT n’est dans les mains de personne", insiste fermement le successeur de François Chérèque, face aux accusations de collusion avec le PS, ou avec le Medef.

L’accord que la CFDT vient de signer est-il emblématique du réformisme syndical que vous défendez ? D’autres y voient du social-libéralisme...

Il y a tellement de mots tabous que, bientôt, on n’aura plus que 20 mots pour parler du monde du travail et d’économie dans ce pays, cela commence à me fatiguer ! Ce qui est important, c’est la réalité vécue par les gens. Les organisations syndicales ont la responsabilité de changer la vie des salariés. Je n’ai pas à m’excuser de leur apporter du plus ni d’avoir encadré la flexibilité dans les entreprises, qui aujourd’hui est à la fois sauvage et omniprésente.

Au minimum, l’accord est équilibré, moi je trouve qu’il est ambitieux ! Il ne résulte pas d’un troc, mais marque une nouvelle articulation entre l’économique et le social dans l’entreprise et sur le marché du travail. En ce sens, il perturbe certains repères. Dans une période de crise, les partenaires sociaux ont su se mettre d’accord sur un compromis structurant à moyen terme. C’est nouveau pour le dialogue social.

L’accord prévoit des mesures de flexibilité immédiate et renvoie les mesures de sécurisation à plus tard. N’est-il pas, de ce fait, difficile à défendre ?

Mais pas du tout. Les flexibilités dont vous parlez sont encadrées par des accords majoritaires dans les entreprises ou par un renvoi à la législation actuelle ou à l’administration. Les droits nouveaux pour les salariés sont parfois renvoyés à la négociation, mais effectifs. Au 1er janvier 2016, tous les salariés auront une mutuelle payée par l’employeur au moins à 50 %. Les droits rechargeables pour les chômeurs sont aussi inscrits en tant que tels.

L’accord a été salué à la fois par l’OCDE, par le "Wall Street Journal", par le "Financial Times". N’est-ce pas parce qu’il fait la part trop belle à la flexibilité ?

La flexibilité existe aujourd’hui : c’est du temps partiel imposé à outrance sans organisation du travail, ce sont des contrats de précaires à ne plus savoir qu’en faire. Le débat sur les accords compétitivité-emploi est surréaliste. Toutes les organisations syndicales en ont signé dans les entreprises sans aucun cadre juridique. Que dit l’accord sur ce sujet ? Qu’il faudra une difficulté conjoncturelle avérée, un diagnostic économique préalable, un accord majoritaire à 50 % qui ne pourra pas dépasser deux ans et demandera les mêmes efforts aux patrons et aux actionnaires, il devra comporter une clause de retour à meilleure fortune et maintenir l’emploi.

Certains élus socialistes veulent à tout prix maintenir leur droit à amendements lors de l’examen du projet de loi transcrivant l’accord. L’acceptez-vous ?

Je souhaite que le contenu du projet de loi soit discuté avec les signataires, puis avec les non-signataires, avant d’être envoyé au Conseil d’Etat. Le droit à amendements existe mais dans le respect du texte et de son équilibre. Il existe des marges de discussion, sur des précisions utiles. Je pense notamment aux modalités de désignation des représentants des personnels dans les conseils d’administration des grandes entreprises. La reprise de sites rentables, que le patronat n’a pas voulu négocier, doit être traitée, mais dans un autre texte.

L’annonce des 7 500 suppressions d’emploi chez Renault n’est-elle pas mal tombée ?

Cette annonce est maladroite. Nous sommes dans un long processus de négociation, qui va seulement entrer dans le vif du sujet. Je fais confiance à l’équipe CFDT pour la mener à bien et prendre la bonne décision.

Vous avez décidé de signer cet accord avec deux organisations minoritaires. N’allez-vous pas vous retrouver trop isolé ?

Seuls ceux qui ne font rien ne prennent pas de risque ! La CFDT n’est pas isolée. Il existe un camp réformiste, dont elle fait partie. Mais je respecte la diversité syndicale et je ne veux pas creuser nos divergences. J’ai d’ailleurs appelé Jean-Claude Mailly [secrétaire général de Force ouvrière] pour le prévenir que nous nous engagerions sur l’accord.

La CGT estime que cet accord contient "des reculs sociaux dictés par le Medef". Etes-vous à nouveau en rupture avec cette organisation ?

Il y a clairement une bipolarisation du syndicalisme sur ce sujet. Rien ne dit qu’elle sera durable, mais nous avons, avec la CGT, une conception fondamentalement différente de l’articulation entre la loi et la négociation. Ce n’est pas une surprise : pour nous opposer à un projet, nous parvenons à agir ensemble ; en revanche, faire des propositions communes et s’engager ensemble, c’est plus difficile.

La surtaxation des CDD ne reste-t-elle pas trop marginale pour être dissuasive ?

Les cotisations chômage des CDD de moins d’un mois vont augmenter de 75 % ! Près de 17 millions de contrats précaires vont être taxés plus fortement, ce n’est pas du tout anecdotique. Elle va responsabiliser les chefs d’entreprise, tout en finançant une incitation à l’embauche des jeunes de moins de 26 ans en CDI.

L’élargissement des mutuelles va encore laisser de côté les étudiants, les retraités et les chômeurs de longue durée...

Il faut faire plus, mais ce n’est pas seulement la responsabilité des partenaires sociaux, mais celle de l’Etat. Ne crachons pas sur le fait qu’on ait fait progresser les droits des salariés au nom du fait qu’il reste encore des progrès à faire pour d’autres.

Votre prédécesseur, François Chérèque, voulait une réforme systémique des retraites. Vous êtes nettement plus prudent. Pourquoi ?

Ce n’est pas le cas, mais à chaque jour suffit sa peine. La négociation sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle est la plus importante dans les semaines à venir. Sur les retraites, attendons de voir ce que le gouvernement a en tête. Il faudra ensuite réfléchir à une réforme d’ampleur.